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#LuLex : La loi du 22 janvier 2021 et la consécration de l’émission de titres dématérialisés à l’aide de la technologie du registre distribué (« Blockchain »)

1. Introduction

En date du 26 janvier 2021, le Parlement luxembourgeois a validé le projet de loi 7637, déposé au Parlement le 27 juillet 2020, et a adopté la loi du 22 janvier 2021 portant modification de la Loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier et la loi du 6 avril 2013 relative aux titres dématérialisés (la ” loi de 2021 “).

La loi de 2021 s’inscrit dans le cadre de la poursuite de la modernisation du cadre juridique luxembourgeois des opérations financières et s’inscrit dans la continuité de la loi du 1er mars 2019 qui a reconnu expressément la possibilité de détenir et d’enregistrer des titres dématérialisés dans des comptes titres par le biais de la technologie du registre distribué (DLT).

Cette loi a servi à préciser que les institutions de tenue de comptes telles que les banques pouvaient fournir des comptes de titres avec la technologie du registre distribué. Elle a également confirmé que les inscriptions successives de titres utilisant la technologie du registre distribué ont les mêmes effets que les transferts entre comptes de titres (par exemple en ce qui concerne le transfert de propriété).

La faculté d’émettre des titres dématérialisés avait, quant à elle, été introduite par la loi du 6 avril 2013 sur les titres dématérialisés (la ” loi de 2013 “).

La loi de 2021 vise à moderniser le cadre juridique existant pour les titres dématérialisés, en reconnaissant expressément la possibilité d’émettre des titres dématérialisés au moyen d’une technologie à registre distribué telle que la blockchain et l’élargissement du champ des entités autorisées à agir en tant que teneur de compte pour des titres de créance non cotés, en incluant tout établissement de crédit ou entreprise d’investissement de l’UE, sous réserve que certaines conditions, sur lesquelles nous allons revenir, soient remplies.

Nous rappelons que la blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’informations sécurisées et fonctionnant sans organe central de contrôle. Une blockchain peut également constituer un registre ou une base de données sécurisées, distribuées et partagées par les différents utilisateurs qui forment un réseau, et cela sans intermédiaire. Théoriquement, ces données, une fois validées par le réseau et enregistrées, ne peuvent plus être modifiées. Cette technologie profite de l’avantage d’être difficilement falsifiable.

2. Quelles nouveautés propose la loi de 2021 ?

La loi de 2021 introduit deux changements principaux.

2.1. Les comptes d’émission de titres dématérialisés peuvent être tenus au moyen de la technologie du registre distribué.

La loi de 2021 reconnaît expressément la faculté d’utiliser les nouvelles technologies d’enregistrement électroniques sécurisées, comme la technologie des registres distribués ou des bases de données électroniques distribuées, dans le cadre de l’émission de titres dématérialisés non cotés en clarifiant juridiquement la définition d’un compte d’émission.

2.1.1. Définition d’un compte d’émission

Le compte d’émission est désormais défini comme un compte tenu auprès d’un établissement de règlement ou d’un teneur de compte central qui enregistre les titres dématérialisés émis par un émetteur teneur de compte central, ce dernier enregistrant les titres dématérialisés émis par un émetteur.

Cette définition précise en outre que les comptes d’émission, et les titres qui y sont inscrits, peuvent être tenus dans ou par le biais de dispositifs d’enregistrement électronique sécurisés, y compris les registres électroniques distribués ou les bases de données. Grâce à la loi de 2021, il est désormais possible de s’appuyer sur la technologie DLT à la fois pour les comptes de titres et les comptes d’émission dans le cadre d’une émission de titres dématérialisés.

Cette définition reste neutre du point de vue technologique, c’est-à-dire qu’elle permet l’utilisation aussi bien de registres et de bases de données traditionnels que de technologies et de bases de données à registres distribués.

Le champ d’application de la loi de 2021 se limite aux titres dématérialisés au sens de la loi de 2013 et non pas à tous les titres fongibles susceptibles de figurer dans un compte d’émission. Ce choix conscient de limiter le champ d’application pérennise, au moins pour le moment, le rôle à jouer par les teneurs de comptes centraux dans l’émission de différents types de titres.

2.1.2. Utilité d’un compte d’émission

Lors de l’émission de titres dématérialisés, il faut tenir un registre du nombre et du type de titres émis. Cela se fait dans un “compte d’émission”. Les comptes d’émission permettent au teneur de compte central ou à l’organisme de liquidation de vérifier que le nombre de titres en circulation dans les comptes de titres ne dépasse pas le nombre total de titres émis.

2.1.3. Fonctionnement d’un compte d’émission

Un compte d’émission n’est pas un compte titres, il s’agit simplement d’un registre tenu pour les besoins des contrôles de réconciliation susmentionnés. Les teneurs de compte centraux et les organismes de liquidation chargés d’effectuer ces contrôles sont désormais expressément autorisés à tenir ces registres en utilisant la technologie des registres distribués. Cela signifie qu’à l’avenir, les principaux outils des titres dématérialisés pourront tous être tenus à l’aide de la technologie des registres distribués ; non seulement les comptes de titres (autorisés depuis 2019 par la loi du 1er août 2001 concernant la circulation de titres et d’autres instruments fongibles), mais aussi les comptes d’émission.

En d’autres termes, le cadre juridique luxembourgeois reconnaît désormais explicitement la possibilité d’émettre des titres dématérialisés sous forme de jetons (tokens), et d’enregistrer le transfert de propriété de ces titres en utilisant la technologie du registre distribué. Ainsi, l’ensemble du processus d’émission et de circulation peut se dérouler dans un environnement basé sur la technologie DLT.

2.2. Elargissement des entités éligibles à agir en tant que teneur de compte pour les titres de créance non cotés

Avant la loi de 2021, la fonction de teneur de compte central était réservée aux entités réglementées luxembourgeoises titulaires d’une autorisation spécifique à cet effet.

La loi de 2021 ouvre l’accès à l’activité de teneur de compte central de manière ciblée en matière de titres de créances non cotés aux entreprises d’investissement ainsi qu’aux établissements de crédit.

La situation restera inchangée en ce qui concerne les titres de capital.

2.2.1. Utilité des teneurs de compte centraux

Il convient néanmoins de souligner l’important rôle alloué aux teneurs de comptes centraux dans l’émission et la circulation des titres dématérialisés.

En effet, la sécurité juridique des marchés de capitaux se doit d’être préservée tout en s’assurant que la responsabilité juridique des différents intervenants dans une opération d’émission de titres demeure clairement définie.

2.2.2. Conditions d’agrément

Pour les titres de créance (non cotés), le champ d’application s’ouvre à tout établissement de crédit ou entreprise d’investissement agréé dans un État membre de l’Espace économique européen, à condition qu’il dispose des infrastructures, de mécanismes de contrôle et de dispositifs de sécurité informatique appropriés afin d’être à même d’agir en tant que teneur de compte central et de permettre l’exécution d’autres tâches connexes, telles que les contrôles de réconciliation susmentionnés.

Les émetteurs de titres de créance non cotés de droit luxembourgeois auront ainsi un plus grand choix de prestataires de services pour cette partie du processus d’émission.

Dorénavant, les établissements de crédit et les entreprises d’investissement de droit luxembourgeois et de l’UE seront autorisés à remplir ce rôle en vertu de la loi de 2013, à condition qu’ils disposent de mécanismes de contrôle et de sécurité informatique appropriés pour la tenue des comptes centraux, leur permettant de :

(i) d’enregistrer dans un compte d’émission l’intégralité des titres composant chaque émission admise à leurs opérations,

(ii) d’assurer la circulation des titres par transfert de compte à compte,

(iii) de vérifier que le montant total de chaque émission admise à leurs opérations et inscrite dans un compte d’émission est égal à la somme des titres inscrits dans les comptes titres de leurs titulaires, et

(iv) d’exercer les droits attachés aux titres inscrits dans les comptes titres.

3. Réflexions autours de la loi de 2021

L’émission de titres dématérialisés se fait de manière exclusive et obligatoire par voie d’inscription des titres dans un compte d’émission. Le compte d’émission fait office de compte créateur des titres et sert à la réconciliation avec les titres inscrits dans les comptes-titres des clients de l’organisme de liquidation ou du teneur de compte central. Les titres dématérialisés ne sont représentés que par une inscription en compte-titres et se transmettent par virement de compte à compte.

En tant que registre, le compte d’émission se prête particulièrement bien à l’utilisation de dispositifs d’enregistrement électroniques sécurisés. D’un point de vue juridique, l’inscription des titres dématérialisés en compte d’émission est une étape nécessaire et obligatoire entre la décision de l’émetteur d’émettre ou de convertir le titre et en parallèle la représentation du titre en tant que tel en compte-titres et sa circulation par la suite

Le Conseil d’Etat (voir 7637/02) a estimé que la loi de 2021 ne va pas au bout de la logique qui sous-tend la technologie de la blockchain.

Un des grands avantages de celle-ci réside en effet dans le fait qu’elle permet de supprimer le recours à certains intermédiaires, la fonction de contrôle et de certification d’une transaction que ceux-ci assurent, étant reprise par les éléments composant la blockchain, ce qui est de nature à réduire les frais de transaction.

Nous présumons que le législateur a fait un choix délibéré en limitant le champ d’application de la loi en ne touchant notamment pas au rôle joué par les teneurs de comptes centraux dans le processus d’émission de différents types de titres.

4. Conclusion

La loi de 2021 offre ainsi une sécurité juridique accrue par rapport aux opportunités offertes par la DLT. Les acteurs basés au Luxembourg pourront développer leurs services en matière de titres dématérialisés, contribuant ainsi à l’attractivité du secteur financier luxembourgeois.

La loi de 2021 constitue un nouveau pas important pour la place financière luxembourgeoise dans sa volonté de relever les défis et les opportunités résultant de la digitalisation du secteur financier afin de lui permettre de se positionner de manière attractive.