Les clauses de rééquilibrage comme les clauses de renégociation prennent une importance toute particulière dans le monde turbulent dans lequel nous vivons ; pensons à l’inflation galopante, la guerre au Moyen Orient et en Ukraine, et un peu plus éloignée mais très impactante, la crise du Covid.
Ces deux types de clauses visent à maintenir l’équilibre contractuel à la suite de la survenance de circonstances nouvelles après la conclusion du contrat.
Dans les clauses de rééquilibrage le contrat est modifié sur la base de paramètres définis et l’application de ces clauses présente un caractère automatique ; ainsi, le rééquilibrage est fréquent en matière d’énergie et est encadré souvent par des normes légales1.
Les clauses de renégociation sont beaucoup plus larges et visent, en règle, tout changement de circonstances imprévisible et non imputable à la partie qui l’invoque et qui bouleverse l’économie du contrat ; comme le nom de la clause l’indique, les parties doivent alors procéder à la renégociation du contrat en rétablissant l’économie contractuelle telle qu’elle avait été prise en compte par les parties en contractant. L’on ne peut que conseiller aux parties de bien baliser la procédure de renégociation ; en organisant bien la forme (durée de la renégociation, présence de personnes ayant pouvoir d’engager la société, établissement de procès-verbaux de renégociation) les chances de succès de la renégociation augmentent. La forme balise le fond.
La bonne foi et l’équilibre contractuel seront les boussoles des personnes, notamment les arbitres, chargés de procéder à ce rééquilibrage dans ces deux types de clauses.
Certaines clauses se trouvent à la frontière entre les clauses de rééquilibrage et les clauses de renégociation ; ainsi, pour l’équilibrage, dans des formules d’adaptation complexes, la clause peut prévoir que ce sera un expert et non les parties elles-mêmes qui adaptera le contrat.
Autre exemple de ce que l’on range sous les clauses de rééquilibrage : la clause d’offre concurrente que l’on peut définir comme suit
« une partie à un contrat s’engage à faire bénéficier son partenaire de conditions plus favorables qu’elle viendrait à consentir à un tiers dans un contrat analogue. »2
C’est alors une clause de rééquilibrage classique ; mais il arrive fréquemment que la clause prévoit non pas l’adaptation automatique mais une renégociation du prix ; par exemple, la clause suivante :
« … les parties se concerteront en vue de rechercher des aménagements acceptables par les deux parties, le vendeur conservant en tout état de cause le droit de préférence aux conditions de l’offre concurrente »3
C’est alors une clause hybride.
Il en est de même de la clause du client le plus favorisé ; le prix est fixé dans le contrat à long terme mais si le vendeur propose un prix moins élevé à un autre acheteur, il est obligé d’abaisser le prix fixé pour l’aligner sur le prix moins élevé convenu avec l’autre acheteur ; mais ici aussi, la clause peut prévoir non pas un alignement automatique mais une renégociation4.
En droit des marchés publics français, une circulaire a été publiée à l’occasion de la hausse des prix due au Covid et à la guerre en Ukraine en 20225 ; la circulaire ne prévoit pas une adaptation automatique des prix mais une renégociation, malgré le fait que les paramètres soient bien définis ; qui plus est, le cocontractant de l’administration pourra se prévaloir, outre de la circulaire, de la théorie de l’imprévision ; rappelons que dans cette hypothèse, l’entrepreneur devra prouver le caractère imprévisible et excessivement onéreux de l’augmentation des coûts. Ceci montre une fois de plus la complémentarité entre les clauses de rééquilibrage et les clauses de renégociation.
Dans les textes législatifs, on trouve aussi une renégociation en cas de paramètres ciblés. Ainsi l’article 1664 du Code civil italien prévoit, en matière de contrat d’entreprise, qu’en cas d’augmentation des coûts de l’entrepreneur de plus de 10%, l’entrepreneur peut demander une renégociation (et non une adaptation automatique) mais 10% de l’augmentation doit rester à sa charge6.
Les clauses d’adaptation de prix n’empêchent pas l’adaptation du contrat par l’arbitre pour cause d’imprévision. Ainsi, dans l’affaire américaine Alcoa v. Essex7, un contrat de fourniture d’aluminium à long terme avait été conclu entre les deux sociétés précitées ; la clause d’adaptation de prix avait été rédigée par Alan Greenspan, ancien patron de la Federal Reserve Board. La variation du prix était basée sur le WPI ( Wholesale price index). Survient la crise pétrolière en 1976, la flambée des prix pétroliers n’avait pas été prise en compte de manière adéquate dans l’index précité ; Alcoa travaillait à perte depuis plusieurs années ( plus de 60 millions de dollars) tandis qu’Essex s’enrichissait par rapport au prix du marché ; malgré la présence d’une clause de révision des prix, la cour américaine a augmenté le prix de manière substantielle puisque la clause ne permettait pas de prendre en compte le changement de circonstances8…
La présence cumulée d’une clause d’indexation de prix et d’une clause de renégociation n’empêche pas l’arbitre d’intervenir dans la mise en œuvre de ces clauses.
La décision de la Cour d’appel de Paris en cause E.D.F/Shell a fait l’objet de plusieurs commentaires9.
Les faits de la cause peuvent être résumés comme suit.
La société pétrolière SHELL avait conclu avec E.D.F. un contrat de fourniture de « fuel-oil » à long terme afin d’obtenir un prix préférentiel.
Le contrat contenait une clause d’indexation du prix, ainsi qu’une clause de sauvegarde, aux termes de laquelle les parties « se rapprocheront pour examiner éventuellement les modifications à apporter au contrat (prix ou autre clause) si le fuel-oil ordinaire rendu à destination venait à subir une hausse de plus de six francs par rapport à la valeur initiale ».
Le Tribunal de commerce a considéré que le contrat était devenu nul à la suite de la disparition d’un élément essentiel du contrat (le prix était devenu indéterminable à la suite de la disparition de l’indice contractuel de variation du prix) et que, la négociation entre parties n’ayant pas abouti, il n’appartenait pas au juge de substituer sa volonté à celle des parties.
Saisie du litige, la Cour d’appel de Paris s’est attachée à l’exécution de l’obligation de négocier. Elle a constaté que les parties voulaient poursuivre l’exécution du contrat de fourniture originaire puisque SHELL continuait à livrer le fuel, contre versement de sommes « à valoir » sur le prix.
La Cour en a déduit la volonté des parties, non de mettre fin à leurs relations contractuelles, mais de les adapter aux circonstances nouvelles.
Les parties devaient donc, selon la Cour, déterminer un nouveau prix et de nouvelles modalités de variation de celui-ci, qui tiennent compte de l’économie contractuelle, et plus particulièrement du caractère réduit du prix en fonction de l’importance et de la durée des fournitures.
L’on perçoit ainsi l’intérêt de la société pétrolière d’invoquer la caducité du contrat. En effet, elle n’était plus obligée d’accepter un prix réduit lors de la conclusion de la nouvelle convention, destinée à remplacer la convention caduque. Si elle acceptait un nouveau prix réduit, c’était en contrepartie d’une durée et d’une quantité de livraison importante qui ne tiendrait pas compte de la durée écoulée du contrat caduc.
La Cour a renvoyé les parties à la table des négociations et désigna un observateur chargé de suivre les négociations et de faire rapport à la Cour en cas d’échec de celles-ci. Les négociations ont, l’on peut s’en douter, abouti.
En conclusion, les ponts entre les clauses de renégociation et de rééquilibrage sont nombreux et larges ; la clause de rééquilibrage vise des paramètres bien déterminés tandis que les clauses de renégociation visent souvent des circonstances qui se situent en dehors de ces paramètres et qui ont généralement des effets que l’on ne pouvait prévoir à la conclusion des contrats. La présence de l’une et l’autre dans un contrat complexe se conçoit parfaitement, la clause de renégociation trouvant souvent application lorsque la clause de rééquilibrage s’avère inefficace.