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La théorie de l’imprévision revisitée

L’introduction du Livre 5 du Code civil a créé une nouvelle dynamique dans les relations contractuelles. La théorie de l’imprévision offre une solution en cas de circonstances imprévues. La suppression de la quasi-immunité des agents d’exécution crée de nouveaux défis. Découvrez comment ces changements peuvent affecter vos contrats et quelles mesures vous devriez prendre dès maintenant pour renforcer votre position juridique.

L’imprévision régie par la loi

Lorsque des parties décident de collaborer, elles concluent généralement un contrat dans lequel toutes sortes de questions sont réglées et écrites. Les parties sont tenues d’exécuter correctement et en temps voulu les obligations découlant de ce contrat. C’est ce que l’on appelle le principe « pacta sunt servanda« . Si une partie ne remplit pas les obligations convenues, elle peut être tenue pour responsable et doit payer des dommages-intérêts.

Même lorsque tout semble bien réglementé dans un contrat, des circonstances imprévues peuvent toujours survenir, indépendamment de la volonté des parties, qui rendent l’exécution du contrat particulièrement difficile ou coûteuse pour le débiteur. L’équilibre contractuel est perturbé. La théorie de l’imprévision pourrait apporter une solution dans de tels cas. Avec l’entrée en vigueur du Livre 5 du nouveau Code civil le 1er janvier 2023, cette théorie a été consacrée par la loi, spécifiquement à l’article 5.74 du Code civil.

La notion « imprévision »

La théorie de l’imprévision permet au juge de résilier ou d’adapter un contrat lorsque des circonstances imprévues et non imputables surviennent après la conclusion de celui-ci, perturbant l’équilibre contractuel de telle sorte que l’exécution par le débiteur d’une obligation particulière peut devenir non pas impossible, mais déraisonnablement lourde.

Le principe de base reste que les contrats font la loi pour les parties et que les dérogations à ce principe devraient rester l’exception, mais la loi prévoit désormais une ouverture pour ces circonstances exceptionnelles.

Il convient de noter que l’imprévision diffère de la force majeure. La force majeure peut être invoquée dans des circonstances qui rendent l’exécution du contrat effectivement impossible. Elle est plus contraignante que l’imprévision, lorsque l’exécution du contrat est encore possible mais déraisonnablement contraignante pour le débiteur.

Conditions et conséquences

Pour invoquer l’imprévision, plusieurs conditions doivent être cumulativement remplies : (1) Un changement de circonstances rend l’exécution du contrat excessivement contraignante, au point qu’il n’est plus raisonnable d’exiger son exécution ; (2) ce changement était imprévisible au moment de la conclusion du contrat ; (3) ce changement n’est pas imputable au débiteur ; (4) le débiteur n’a pas assumé ce risque ; et (5) ni la loi ni le contrat n’excluent la possibilité de recourir à l’imprévision.

Si ces conditions sont réunies et que l’imprévision peut donc être invoquée, il est possible de renégocier le contrat. Le débiteur peut demander au créancier de modifier ou même de résilier le contrat. Dans le pire des cas, si les parties ne parviennent pas à se mettre d’accord sur certaines modifications, la partie la plus lésée peut saisir le tribunal (article 5.74, al. 4 C. civ.).

Le juge peut trancher deux questions à la demande des parties. Il peut modifier le contrat pour le rendre conforme à ce que les parties auraient raisonnablement convenu si elles avaient tenu compte du changement de circonstances. Le juge peut également mettre fin à tout ou partie du contrat, si nécessaire. Entre-temps, pendant les négociations ou une éventuelle procédure judiciaire, le contrat doit en principe continuer à être exécuté (art. 5.74, al. 3 C. civ.), sauf intervention d’un juge des référés.

Quasi-immunité des agents d’exécution

Une récente modification de la responsabilité extra-contractuelle (Livre 6 du Code civil) impose une vigilance accrue aux agents d’exécution. À compter du 1er janvier 2025, la quasi-immunité des agents d’exécution sera supprimée. Un donneur d’ordre pourra dorénavant engager directement la responsabilité de l’agent d’exécution du cocontractant.

Avec la surpression de cette quasi-immunité, l’agent d’exécution est beaucoup plus exposé. Toutefois, l’article 6.1 du Code civil prévoit que cette nouvelle réglementation est de droit supplétif. Les parties peuvent donc y déroger contractuellement, dans un sens ou dans l’autre, en prévoyant des clauses spécifiques dans un nouveau contrat ou en ajustant les contrats existants.

Les contrats conclus avant le 1er janvier 2025 tombent également sous le nouveau régime de l’article 6.3 du Code civil, tant ceux entre le donneur d’ordre et l’exécutant direct, que ceux entre ce dernier et l’agent d’exécution. Mais le champ d’application de ces contrats peut, bien entendu, devenir fondamentalement différent en conséquence. La portée de ces contrats pourrait ainsi être fondamentalement modifiée, justifiant leur révision ou renégociation. Dans de tels cas, la théorie de l’imprévision pourrait offrir un fondement pour justifier une renégociation.

La modification législative supprimant la quasi-immunité de l’agent d’exécution peut créer un déséquilibre contractuel dans les accords existants, souvent au détriment de l’agent d’exécution. Ses responsabilités et sa potentielle responsabilité risquent d’augmenter de manière significative d’un seul coup. En effet, l’agent d’exécution pourra désormais être poursuivi directement par le cocontractant de son donneur d’ordre, alors que cela n’était peut-être pas prévu au début de sa relation contractuelle avec son donneur d’ordre, et encore moins prévisible.

Il n’existe pas de disposition dans la nouvelle loi excluant la renégociation du contrat. Comme indiqué précédemment, la nouvelle réglementation est de droit supplétif et peut donc être modifiée contractuellement pour plus d’équilibre (art. 6.1 C. civ.). Si le contrat entre le donneur d’ordre et l’agent d’exécution relève du Livre 5 du Code civil, une renégociation peut être tentée, voire une adaptation judiciaire, sur la base de l’article 5.74 C. civ. et de la théorie de l’imprévision.

 

Margaux Clarysse